LA SCIENCE ET LA VERITE

Prenons pour exemple un phénomène X, quelconque. Les lois permettant de décrire ce phénomène ne sont pas encore connues, aussi est-il difficile et irraisonné de pouvoir tirer des conclusions quant à la vérité qui le caractérise. Au temps T-n, nous ne connaissons que l’existence de X, qui a été démontrée, mais aucune de ses propriétés.

LA SCIENCE ET LA VERITE

Une première information est alors découverte à l’instant T : selon cette première loi, X est rouge.

LA SCIENCE ET LA VERITE

Dès lors, avec cette seule information, nous pouvons considérer la coexistence de deux vérités. Il est tout aussi véridique de dire que X est le carré ou que X est le rond, car les informations dont nous disposons à l’instant T sont compatibles avec les deux possibilités. Pendant toute la période de temps T, la vérité est donc partagée, et on peut imaginer que les supporters de chacun des deux aspects se livrent à toutes sortes de suppositions pour démontrer la validité supérieure de leur conception de X. Compte tenu des informations disponibles, chacun a raison, et chacun a tort.

Mais au temps T+1, une nouvelle découverte est faite sur X : selon cette deuxième loi, une des mesures communes aux deux conceptions de X est égale à π. L’humanité revoit ses hypothèses à la lumière de cette nouvelle information et poursuit son étude de X. On dresse une liste des données relatives à chacune des deux formes et on liste celles qui sont communes.

Le carré a des côtés, mais pas le rond. Le carré a des diagonales, mais pas le rond. Finalement, on se met d’accord sur le fait que les mesures communes sont :

_ Le périmètre : carré et rond en ont un.

_ L’aire : carré et rond en ont une.

La deuxième loi nous informe que soit le périmètre, soit l’aire du rond ou du carré est égale à π. Dans le cas du carré, le périmètre est égal à 4 fois la mesure du côté. Ainsi, si le périmètre est égal à π, alors le côté mesure π/4. Rien d’extraordinaire, sauf qu’une autre information est nécessaire, une information indépendante de X et déjà connue : π est un nombre irrationnel.

Ce qui signifie qu’il fait partie de ces nombres qui ne peuvent pas s’écrire sous la forme du rapport entre deux nombres entiers. 3 peut par exemple s’écrire 6/2, 9/3, 120/40, etc… Mais π, lui, ne peut pas : après la virgule, il comporte une infinité de nombres. Sa valeur est ainsi proche de 3,14159265… et nous pouvons continuer comme ça jusqu’à l’infini. Il en ressort qu’une longueur égale à π ou à un de ses multiples ne peut pas être précisément tracée. Vous pouvez tracer un côté de carré égal à 3,14, ou à 3,1415, et ainsi de suite, mais jamais égal à π. En d’autres termes le périmètre du carré ne peut pas être égal à π, il ne peut que s’en rapprocher.

 

 

On comprend alors qu’il en va de même pour l’aire du carré : celle-ci est égale à la longueur du côté multipliée par elle-même : côté x côté. Si cette opération est égale à π, alors le côté est égal à racine de π. Or, le carré ou la racine carré d’un nombre irrationnel est lui-même irrationnel. Par conséquent, le côté correspondant à une aire égale à π ne peut pas non plus être tracé. Le carré, s’il obéissait à la première loi découverte, n’obéit plus à la seconde : l’évolution des connaissances a permis de l’invalider.

A l’aide des deux lois, on peut faire l’affirmation suivante : X est le rond rouge. Là où deux vérités cohabitaient à cause d’un manque d’information, une seule est vérifiée dès lors que de nouvelles données permettent de préciser les caractéristiques de X.

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Cependant, si la vérité est maintenant connue, dans le sens où on sait que X est un rond et non un carré, on ne saurait dire quelle mesure est égale à π : ce peut-être le périmètre tout aussi bien que l’aire. On a donc, là encore, deux données que l’on peut prendre comme les deux faces d’une nouvelle vérité. Il faudrait des informations supplémentaires pour les départager et préciser plus encore notre description de X, nécessitant de poursuivre les recherches en temps T+2, T+3, etc

Mais les choses peuvent ne pas être aussi simples. En effet, une information peut être manquante en période T-n. Là où il avait été révélé deux formes possibles pour X, d’autres n’ont peut-être pas été découvertes, et pourraient l’être plus tard. Si l’on ajoute, par exemple, la découverte d’une sphère en T+2, qui se révèle également rouge, et que l’on étudie à nouveau les possibilités en fonction des lois 1 et 2 découvertes plus tôt, qu’obtient-on ?

La sphère rouge est tout aussi véridique selon la loi 1 que le carré et le rond. La loi 2, invalidant le carré, peut-elle invalider la sphère ? Pour le savoir, il faut à nouveau étudier la question. Alors que la vérité admise était que X était le rond, l’humanité met en suspens son jugement le temps de préciser les choses. On doit déterminer quelles propriétés sont communes à la sphère rouge et au rond rouge.

La sphère a un volume, le rond n’en a pas. En revanche, la sphère a une surface, comparable à l’aire du rond. Une sphère de surface égale à π peut-elle être exactement créée ? La surface d’une sphère se calcule comme suit : 4 x π x r2Pour que cela soit égal à π, le rayon r de la sphère doit être égal à 0,5. Cette valeur n’étant pas infinie, on peut parfaitement la dessiner.

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Nous passons donc d’une vérité qui semblait établie, destinant X à être un rond, à une vérité qui ne peut à nouveau pas départager deux cas de figure : X n’est peut-être pas un rond, il peut désormais aussi être une sphère. Il faudra, à nouveau, poursuivre les études pour acquérir des informations nouvelles permettant de les départager, et permettant par la même occasion de s’assurer que d’autres formes n’étaient pas aussi cachées en temps T-n.

La force de la science, elle est justement là : dans sa capacité à ne pas sceller son jugement. On considère toujours qu’une chose est vraie jusqu’à preuve du contraire. Et quand cette preuve est découverte, qu’elle résiste à une analyse critique, alors la science revoit ses conclusions. Toute nouvelle information peut venir préciser le portrait que l’on se fait de la vérité, le changeant parfois totalement. Mais pour que ce changement s’opère, il faut des preuves solides. La science n’est pas faite pour édicter des vérités absolues : l'erreur est une composante majeure de son évolution à travers les âges.

Non, ce que la science fait, c’est assembler les informations connues sur la nature de X pour en dessiner une représentation qui soit le plus possible fidèle aux observations, et chercher sans cesse d’autres informations pour affiner cette description. De la même façon, nous pouvons nous enfoncer de plus en plus loin dans les décimales de π sans pouvoir en atteindre le bout, puisqu’il est infini. On ne cherche pas à atteindre la vérité, mais à la représenter le plus fidèlement possible. Dès lors, chaque nouvelle donnée, chaque étude, chaque découverte ne fait qu’apporter des précisions qui permettent d’aller plus loin et, parfois, de changer totalement de représentation.

Et c'est là ce qu’il est essentiel de comprendre dans le monde réel : il n'y a plusieurs vérités que quand les informations à notre disposition ne nous permettent pas de trancher. Comme ici dans le cas d'une seule information qui ne permettait pas de départager le carré et le rond, ou plus tard le rond et la sphère. On fait intervenir la science (plus exactement : la recherche scientifique), pour découvrir d'autres informations qui permettent d'avancer vers la vérité. On ne peut pas l’atteindre, mais on peut rendre de plus en plus probable et de plus en plus précis le portrait qu'on en dresse

Et malheureusement, une posture qui doit être condamnée et qui est celle des pseudo-sciences (y compris des pseudo-médecines), c'est de refuser de considérer certaines de ces découvertes, de les nier ou même de les cacher à leur public, pour maintenir un flou jouant en leur faveur : les pseudo-sciences distillent juste assez d'informations pour entrevoir les possibilités, mais pas suffisamment pour en écarter certaines qui, a posteriori lorsque l’on prend en compte l'ensemble des informations, se révèlent fausses.

Beaucoup de pseudo-médecines se basent par exemple sur des principes qui, à une époque, ont plus ou moins fait partie de la médecine conventionnelle. Des principes comme la première loi connue de X ci-dessus, la forme est rouge, que sont venus compléter d'autres principes ayant permis de mettre le carré de côté... Dans le monde réel, c'est la même chose : des découvertes sont venues invalider des principes. Découvertes que les supporters de ces principes se plaisent à ne pas considérer…

Cela reviendrait, dans ma représentation de l’évolution de la vérité dans le temps, à demeurer par exemple en position T pour défendre la validité du carré, alors que les nouvelles lois découvertes en T+1 l’ont invalidé. Ou, autre exemple, à demeurer en position T+1 en niant la découverte de la sphère en T+2, et par la même en niant la nouvelle représentation de la vérité en T+3. C’est, littéralement, une sélection des informations selon la vérité qu’il nous plait d’accepter.

Croire que tout est relatif, que tout est une question de point de vue, c’est quelque part croire que la réalité se plie au bon vouloir de l’humanité. Mais c’est faux. La réalité ne dépend pas de nous. Que nous soyons là ou pas, X aurait eu les mêmes propriétés. Seule aurait été absente la représentation, le modèle dressé par l’humanité par le biais de la science. Mais X aurait été inchangé. Le savoir produit par la science n’est pas la sélection de la vérité des scientifiques au détriment de la vérité du citoyen lambda.

La vérité scientifique est le portrait qui ressort de l’étude d’un phénomène naturel, comme le dessin d’un artiste est la représentation à la fidélité variable du modèle réel qu’il a voulu retranscrire. Et tout comme l’artiste peut indéfiniment arranger son œuvre, retravailler ses couleurs, rajouter des détails pour coller au mieux à ce qu’il observe, mais ne pourra jamais faire que représenter le réel et non le recréer, la science met sans arrêt à jour ses connaissances en fonction des découvertes, pour tendre toujours plus vers un idéal de vérité qu’elle sait ne pas pouvoir atteindre.

C’est une remise en question perpétuelle, la prise en compte de toutes les informations disponibles et des preuves qui les étayent, pour sans arrêt avancer sur la flèche temporelle de l’évolution des vérités, à l’inverse des pseudo-sciences dont les principes restent souvent figés en prenant soin de ne pas considérer les découvertes postérieures capables de les invalider.

Et pour moi, c’est le signe d’un cruel manque d'ouverture d'esprit de la part des pseudo-sciences : ne pas prendre en compte ce qui déplait. L’ouverture d’esprit, ça ne devrait pas être la capacité à tout accepter tant que ça nous conforte dans nos idées préalables, mais au contraire cela devrait être de savoir se confronter aux opposés de nos convictions en les étudiant sincèrement. Et enfin d'être capable, le cas échéant quand les informations nouvelles sont étayées par des preuves solides, de faire évoluer son jugement et de changer d'avis.

Elle est là la véritable ouverture : pouvoir remettre en question ce dont on est convaincu et être capable de faire évoluer ses opinions, toujours à la lumière des preuves.

C’est la base de la science, et l’ennemi des croyances...

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